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Renega Le R : un des gardiens de notre patrimoine linguistique dans le milieu hip hop

Renega Le R
©Rio le château

Pour Renega, aussi appelé Le R, le hip hop est d’abord une histoire de famille. Inspiré par ses grands frères, il décide d’user des mots et de les poser sur du son dès l’âge de 13 ans. C’est sur son île, la Martinique, qu’il écrit ses premiers textes et choisit de les scander en suivant les conseils de ses aînés. Des années 1990 à nos jours, il a côtoyé les plus grands noms du rap martiniquais et a posé sa voix sur de nombreux projets. Cet artiste de référence du hip hop kréyol nous présente ici son parcours ainsi que ses projets à venir.

 

Quels sont les temps forts de ton parcours dans l’univers du rap ?

 

J’ai commencé il y a maintenant 26 ans. Nèg Marko Polo des Nègkipakafèlafèt c’est l’un de mes frères et j’ai 2 autres frères qui étaient membres des Nouvo Gryo. Donc, ils répétaient à la maison. D’autres MCs venaient aussi souvent à la maison. J’ai vraiment kiffé et je suis tombé dedans.

Avec les frères qui composent aujourd’hui le HipHop BòKay, on a commencé à se rencontrer  pour des krazé goj. Il y avait les Artistes Illimités, Cénoumenm, tous les crews de l’époque. Et, c’est là que j’ai fait mes premiers pas.

C’est aussi là que j’ai rencontré Pearl qui m’a invité à faire partie des Artistes Illimités en 1994. Avec le groupe, on a sorti le maxi « Sé kon sa nèg ka mò » en 1997. Ensuite, on a organisé pas mal de petites soirées. Nous nous sommes retrouvés sur les mixtapes des autres frères. Ensuite, malheureusement le groupe s’est scindé. Nos chemins se sont séparés. Certains sont partis sur la France, d’autres sont restés sur l’île. Ce n’était pas évident d’évoluer comme ça à l’époque.

 J’ai continué mon parcours seul. Puis, j’ai rencontré Duduss des Nèg. Duduss, Ridji et moi, nous avons formé le Typical Staff. Là aussi, ça a été une belle aventure. On a sorti plusieurs projets : Mada Vib en 2006, Mada Cash en 2010 et l’album Escal o Péyi. C’est là aussi que j’ai été rebaptisé Le R par Duduss. Ensuite, on a continué à bosser un peu chacun de notre côté.

J’ai participé à des albums : celui de Krimy, ceux de Boogie. Il y a eu aussi pas mal de mixtapes : celles de Neg Lyrical, de Djeda, de Pearl. Avec Marko Polo, en 2013 on a sorti un album qui s’appelait Frères2son Frères2sang. L’album a été produit par Boogie Flaha. Quasiment tous les instrus de l’album étaient de Boogie. Il y avait aussi 2 instrus de Duduss et 1 de Lyrical.

Et, il y a l’aventure HipHop BòKay qui a recommencé l’an dernier. À la suite d’un événement tragique, nous nous sommes réunis. On s’est en fait retrouvé, vu que chacun bossait de son côté. On avait tout de même gardé la connexion. Mais, on s’est dit qu’il fallait qu’on recommence à bosser ensemble. Depuis, il y a des sons qui tournent. Et ça ne fait que commencer.

 

 

Tu as été inspiré par tes frères et les MCs que tu voyais régulièrement. Mais, quel est précisément l’élément qui t’a donné envie d’écrire et de rapper ?

 

Déjà quand je voyais mes frères écrire, je me questionnais. Puis quand les autres frères venaient, ils lâchaient leurs textes et là je me rendais compte de ce que ça donnait. Et je trouvais ça bad. Donc, j’ai essayé. Je faisais des petites impros au début. Et c’est Marko Polo, un jour qui m’a dit de mettre sur papier. Donc, j’ai écrit. Il repassait parfois derrière pour me donner des conseils. Et puis, j’y ai pris goût. Et je n’ai jamais arrêté.

 

Aujourd’hui, que dirais-tu que t’a apporté l’écriture ?

 

Au début, on écrit ce qui nous passe par la tête. On est inspiré par d’autres sons que l’on a entendus. Après, en grandissant, on écrit sur ce qu’on vit, sur ce que notre entourage dit, sur l’actualité. On se penche plus sérieusement sur les sujets qu’on aborde. On s’applique beaucoup plus. Parfois même, on fait des recherches. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup parce qu’en fait on apprend constamment. 

 

Dirais-tu que cela a participé activement à ta construction en tant qu’adulte ?

 

Absolument, en tant qu’adulte, en tant qu’homme, en tant que père, en tant que mari, en tant que frère, en tant que pote. Ça m’a suivi. Je rappe depuis l’âge de 13 ans, j’aurai bientôt 40 ans. Je ne serais pas qui je suis aujourd’hui, s’il n’y avait pas eu le rap et l’écriture.

 

Tu as commencé à rapper en 1994, tu as gravité autour des artistes de la mouvance Hip Hop Kréyol. C’est une période pendant laquelle des idées fortes étaient défendues dans le rap en Martinique. Qu’est-ce que cela t’a apporté ?

 

À cette époque, les gens commençaient à kiffer le rap. On a baigné dedans. C’était nouveau. En plus aux Antilles, on a aussi une culture très caribéenne. Il y a l’influence de la Jamaïque. Nous, on grandissait dedans donc on se sentait un peu différent.

On a grandi avec et on a essayé justement de porter ces valeurs. Le hip hop c’est toute une culture. Ce sont des codes aussi. On essaie de porter cela dans notre manière d’être. À cette époque, c’était plus fort parce que c’était nouveau.

Chez nous, aux Antilles, la musique qui a dominé c’était le reggae dancehall. C’était un peu difficile de se faire remarquer dans tout cela. On a persévéré, on s’est battu, on n’a pas lâché. On le faisait par passion avant tout. Donc on a toujours été présent. Tout cela, c’est grâce à cette époque qui était vraiment forte.

 

Renega Le R
©Rio le château

Concernant les valeurs qui étaient portées à l’époque, il y avait une forte idée de revendication au niveau culturel. Toi, comment te positionnais-tu par rapport à cela ?

 

J’ai traversé plusieurs époques en fait. Au tout début, c’était vraiment un peu euphorique. Je connaissais les valeurs, mais je prenais surtout mon pied. Le hip hop c’est peace, love, unity et having fun. Mais, j’étais que dans le having fun à cette époque. Après, on grandit donc on a d’autres manières de voir les choses. Et il est vrai que le rap, en tout cas à sa naissance, a été un moyen utilisé pour revendiquer, pour faire entendre la voix du peuple. Quand on prend conscience de cela, on se dit qu’on a ce devoir là aussi de transmission. Du coup, on traite de sujets dont on n’entend pas parler dans d’autres sons ou dans les médias.

 

Aujourd’hui, quelles sont les grandes thématiques que tu cherches à porter en avant ?

 

Je parle de notre quotidien. Il est important pour moi déjà de représenter qui on est en tant qu’Antillais, en tant que Martiniquais, en tant que Guadeloupéens. Donc, dans mon rap déjà, j’essaie toujours d’écrire en kréyol parce que c’est notre identité, c’est notre langue donc je la mets en avant.

Dans les instrus aussi, je vais toujours essayer d’avoir des samples de notre culture, de notre patrimoine, de nos artistes. Même si au début on samplait de tout. Mais plus on grandit, plus on se sent concerné par la réalité du lieu où l’on vit et on a envie de la mettre en avant. Au fond, nous sommes des ambassadeurs. J’essaie donc de mettre les bons et les mauvais côtés de nos réalités en lumière de la meilleure manière qui soit à travers la musique.

 

 

Tu disais qu’il n’est pas évident de vous faire entendre parce que le dancehall a pris le dessus. Malgré tout, as-tu l’impression qu’il y a un public qui est là et qui vous suit ?

 

Oui bien sûr. On a des retours positifs. On le voit. Au début d’ailleurs, on partageait souvent les scènes avec les artistes dancehall. Donc on sait que le public nous connaît. Mais les médias n’ont pas suivi malheureusement. C’était peut-être trop engagé ou pas « tendance » comme ils aiment dire.

 

Penses-tu qu’il y a une volonté de bloquer l’émergence du rap antillais ?

 

Aujourd’hui, je dirais non. On le voit bien. Le rap en général a changé même aux États-Unis. Il y a eu l’émergence de nouveaux styles. Aux Antilles, ils ont suivi. Il y a plus de hip hop qui passe en radio. On a des artistes qui partent même aux BET Awards. Je pense à des artistes comme Meryl ou Kalash.

Il est vrai qu’à l’époque on avait l’impression que c’était le cas, mais on était peut-être trop différent à ce moment-là.

 

Tu as donc le sentiment qu’il y a des ouvertures pour vous maintenant  ?

 

 Absolument. Notre public a toujours été là. En plus maintenant, je pense que le grand public est un peu plus présent parce que les gens sont plus habitués au hip hop et à ses sonorités. Et puis, il est vrai qu’on a mûri donc on traite de sujets plus profonds. Et les gens ont envie d’entendre cela. Il y a cette demande de lyrics un peu plus conscients aujourd’hui. Les gens ont envie d’entendre autre chose que ce qui passe en radio avec les guns, les femmes, etc.

 

Donc selon toi, le public est maintenant prêt à vous écouter.

 

Oui, on le ressent.

 

Pourquoi avez-vous décidé de reformer le HipHop BòKay ?

 

En fait, nous nous sommes tous retrouvés suite au décès d’un ami. Et on s’est rendu compte qu’on se retrouvait finalement toujours dans des moments tragiques. Du coup, on s’est dit qu’il y a un problème puisqu’on se connaît tous, on est tous potes et on ne fait rien ensemble. Donc on a décidé de repartager des vibes ensemble.

Au début, il n’y avait pas de projet. On s’est juste dit qu’on partage des sons, on se connecte et on a recommencé à travailler ensemble. Ensuite, on s’est dit qu’on ne peut pas faire du son pour faire du son donc on va le partager. Et, tout est parti comme ça.

On a créé une page Bandcamp. On est présent sur les réseaux sociaux. Il y a la chaîne YouTube. Ceux qui veulent nous suivre peuvent trouver tous les sons qu’on propose sur ces réseaux. 

Aujourd’hui, avec la maturité et l’expérience, chacun au sein du collectif peut apporter des compétences qu’on n’avait pas nécessairement à l’époque. Et puis, c’était aussi plus compliqué. Maintenant, il est bien plus facile de partager du son. Donc, comme on dit avec des bouts de ficelles on fait une corde. On verra bien, là où ça nous mènera.

 

As-tu aussi des projets en solo ou avec les groupes dont tu as fait partie ?

 

Il y a un autre projet avec Marko Polo. C’est la suite de Frères2son Frères2sang qui est quasiment aboutie. Donc, il sortira prochainement. Et j’ai aussi un EP en préparation en solo qui devrait sortir pour 2021. Il est possible de suivre mon actu sur ma page bandcamp, sur YouTube, et sur les réseaux.

Avec le HipHop BòKay, on a des scènes à venir. Et vu la situation actuelle, nous ferons aussi des livestreams. Ceux qui veulent nous entendre pourront nous suivre aussi en direct sur le net. Nous diffuserons les dates et les heures sur les réseaux.

Syanséka

Originaire de Guadeloupe, j’aime observer le réel et partager le fruit des lectures qu’il se plaît à m’offrir.

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