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Maqflah : rap et positivité pour mieux dire ses réalités

©Nico Robinson

Maqflah est un rappeur guadeloupéen qui porte haut les couleurs du hip hop kréyòl. Il fait partie de ces artistes qui veulent transmettre des valeurs positives à travers la musique.  En 2008, il a sorti son premier EP Plis love. Il s’est fait ainsi connaître hors du milieu underground et a su se positionner comme une des grandes voix du rap aux Antilles. Il nous présente ici son parcours et son actualité.

 

Comment as-tu découvert le rap ?

 

Mon frère aîné et son meilleur ami en écoutaient. Avec eux, j’ai découvert les artistes de la fin des années 80 et du début des années 90. Puis, j’en ai écouté sur les médias de l’époque et les cassettes que ramenaient les membres de la famille ou les amis qui venaient en vacances de Paris. C’est ainsi qu’on parvenait à se tenir au courant de ce qui se faisait.

Quels ont été les temps forts de ton parcours ?

J’ai commencé à rapper au milieu des années 90, vers 1996. J’étais au lycée et j’ai rencontré d’autres personnes qui s’intéressaient aux mêmes choses que moi. Dans mon quartier, j’avais des amis qui commençaient à se lancer en faisant des freestyles ou en écrivant quelques textes. Tout naturellement, nous nous sommes connectés. Nous avons commencé à essayer de créer ensemble, à faire des maquettes, à freestyler.

C’était avant tout une passion. Nous n’avions pas d’ambition particulière. Nous ne pensions pas à réaliser une carrière. On le faisait pour le plaisir. On aimait essayer de composer quelque chose après avoir écouté des morceaux pendant toute la semaine. Ça nous permettait aussi de tromper l’ennui et de nous exprimer à travers un biais qui nous galvanisait. C’était aussi réussir à faire quelque chose à la base qui nous semblait impossible parce que ce n’était pas forcément évident à l’époque.

Il y avait des précurseurs avant comme le Karukéra Crew. Dans les années 90, on écoutait l’émission 105 FM freestyle sur radio Tanbou et ça nous inspirait beaucoup. Grâce à cela, on savait qu’il était possible de faire du rap en créole et d’amener notre couleur à nous. Ça nous a encouragés, au fur et à mesure, à continuer à creuser et à développer les connexions.

J’ai rencontré pas mal de personnes ici en Guadeloupe, mais aussi en France puisque je suis parti pour faire mes études à la fin des années 90. Entre 1997 et 2002, je suis resté sur Toulouse. Et c’est au fur et à mesure de ces rencontres et de ces échanges que j’ai finalement décidé de proposer un projet dans le courant des années 2000.

Quel a été l’élément déclencheur ?

 

Le rap a tellement fait partie de ma vie, j’en ai tellement écouté pendant toute mon adolescence et mon début de vie d’adulte qu’à un certain moment je me suis dit qu’il fallait que j’essaie de proposer quelque chose. Je ne me voyais pas continuer à vivre sans essayer au moins de faire éclater ma vision au grand jour.

Et puis, les choses se sont beaucoup démocratisées dans les années 2000. Dans les années 1990, l’autoproduction n’était pas aussi répandue que maintenant. À l’époque, il fallait rechercher un producteur, des partenaires, un label, etc. Depuis les années 2000, il est bien plus simple de proposer sa musique directement aux consommateurs. C’était donc le moment idéal pour se lancer.

Quelle vision cherches-tu à transmettre à travers ta musique ?

 

Je dirais surtout de la simplicité. Une vision de la vie relativement humaniste. Ma musique, je la veux positive, lumineuse. Je fais de mon mieux au jour le jour pour comprendre le monde dans lequel on évolue, pour composer avec ce qu’il nous amène, j’essaie au maximum de m’enrichir, de grandir et de devenir quelqu’un de meilleur au quotidien. À travers ce que je fais, je livre ma vision du monde. J’ai une volonté de faire grandir les auditeurs en même temps que moi. Je cherche avant tout à faire ressentir la positivité.

Avec la sortie de tes projets, as-tu souhaité commencer à vivre de la musique ?

©Ben Kiavué

Je n’ai jamais vraiment pensé vivre de la musique. C’est probablement peut-être dû à la manière dont j’ai commencé, puisque quand je me suis lancé c’était avant tout dans une optique d’expression personnelle et d’épanouissement. J’ai ensuite très vite émis des doutes sur la possibilité de vivre du hip hop kréyòl. Je voyais comment évoluaient les autres autour de moi et j’ai toujours remarqué que c’était très compliqué. Il fallait vraiment avoir plusieurs cordes à son arc et composer avec divers d’éléments.

Je suis aussi issu de la vieille école avec l’éducation que j’ai reçue. Dans l’entourage familial, c’était le travail qui primait. Il fallait faire des études, obtenir le plus de stabilité et d’indépendance financière possible.  C’est quelque chose qui m’a marqué puisque ce sont les valeurs avec lesquelles j’ai été élevé. Et, j’ai toujours été dans cette optique. Dès le départ, je me suis donc toujours dit que je ferais de mon mieux pour mener parallèlement ma vie professionnelle et mes projets artistiques. C’est très contraignant, mais cela permet aussi d’avoir une certaine indépendance, de faire des choix en toute liberté et de se concentrer exactement sur ce que l’on souhaite faire. Aussi, faire un album ou un clip a un certain coût et l’indépendance financière permet d’investir tel qu’on le souhaite dans sa musique.

De nos jours, parmi les artistes les plus populaires en Guadeloupe on retrouve des artistes de dancehall.  Il s’agit aussi d’une musique urbaine et elle a une place maintenant importante dans notre paysage musical. Pourquoi, à ton avis, les rappeurs ont-ils du mal à s’imposer en Guadeloupe ?

 

Je pense qu’il y a plusieurs éléments qui peuvent expliquer cela. Le rap est issu du hip hop qui, à la base, est un mouvement assez marginal et clos. Dans un premier temps, ce n’était pas une musique proposée au grand public. Il y a aussi un état d’esprit particulier lié à ce mouvement. Il y a un certain univers et des codes. Tout le monde n’est pas forcément à l’aise avec cela.

Il y a aussi plusieurs styles de rap et un style de rap ne va pas forcément plaire à tout le monde. Dans les années 90, on a beaucoup aimé le style un peu jazzy, un peu soulful, ce qu’on a appelé le boum bap à l’époque. Ce sont des styles qui ne plaisaient pas à tout le monde. Le dancehall, par contre, est déjà plus dansant, plus caribéen. Un des reproches qui a été fait au rap à l’époque, c’est que ça venait des États unis. Les gens considéraient que ceux qui aimaient le rap idolâtraient les Américains et succombaient à l’hégémonie américaine.

Et puis aussi, les textes de rap étaient très engagés. Ils véhiculaient toujours un message. Ce n’est pas toujours évident d’arriver avec 3 couplets de 16 mesures et de retenir l’attention du grand public. Les morceaux qui fonctionnent sont des morceaux très accrocheurs, relativement dansants, avec des paroles très simples qui captent tout de suite l’oreille du grand public. Donc, je pense qu’il fallait quand même une certaine sensibilité pour adhérer au rap.  

Le public qui vous suit finalement de qui est-il composé ?

 

Je pense qu’il est composé avant tout de passionnés comme nous et de personnes qui sont sensibles à certaines sonorités, à certains messages, à certains univers. Et, je pense qu’il y a aussi les gens qui ont parfois envie d’écouter une alternative à ce qui est proposé sur les médias traditionnels.

Pourquoi as-tu fait le choix, dès tes débuts, de t’inscrire dans la mouvance hip hop kréyòl ?

 

Le hip hop pour moi à la base c’est faire ce que l’on sait faire de mieux, aller vers l’excellence, se dépasser en utilisant ce qu’on a autour de soi, son univers, sa vie réelle. Et le hip hop kréyòl pour moi c’est un hip hop qui est fait avec les outils que nous avons ici, la réalité que nous avons et la sensibilité que nous avons. Ensuite, cette volonté de le faire en créole c’est justement pour utiliser ce qu’on a et ce qu’on est. On parle en créole et on vit en créole chez nous. Il peut sembler plus simple d’utiliser d’autres langues telles que le français ou l’anglais pour pouvoir toucher un maximum de monde. Mais, il y a cette envie de vraiment utiliser ce qui nous compose, ce que nous sommes. Donc, c’est tout naturel, je pense, de se tourner vers le créole, même si on rappe aussi en français ou éventuellement en anglais. On aime bien jouer un peu avec les différentes sonorités, les différentes langues qui sont à notre disposition, mais pour moi, rapper en créole c’est vraiment spontané. Je me sens plus libre avec le créole.

Tu as plusieurs morceaux dans lesquels tu as fait des collaborations avec des artistes américains. Peux-tu expliquer ce choix ?

 

C’est une volonté de créer des ponts dans un premier temps. J’aime partager des vibrations. J’aime partager la création. C’est bien de composer tout seul de son côté, de réaliser ses morceaux, d’écrire et d’arriver à un projet fini tout seul. Mais, c’est aussi bien de confronter sa vision à celle des autres, de créer quelque chose ensemble. Une rencontre c’est magique. Et arriver à le faire avec des gens qui sont dans une réalité très différente de la nôtre, des gens qui nous inspirent ou qui nous ont inspirés, je trouve que c’est vraiment super intéressant. Cela permet d’amener notre propre musique un peu plus loin, d’avancer, de grandir.

C’est aussi un moyen de mettre un peu en lumière ce qui se fait chez nous. C’est ouvrir le champ des possibilités et aller toucher ce qui, à l’époque, était intouchable. Quand j’ai commencé, il n’était pas possible d’aller vers un Américain ou un Français et d’envisager une collaboration. Maintenant que les choses sont simplifiées et qu’on a cette possibilité d’ouvrir le champ des possibles, je pense qu’il ne faut pas s’en priver.

En ce qui me concerne, j’ai autant de plaisir à collaborer avec un artiste local qu’avec un artiste international. C’est toujours l’occasion de partager des vibrations et de créer quelque chose d’unique.

En ce moment, tu as un projet sorti en collaboration avec un beatmaker. Peux-tu en parler ?

Le dernier projet c’est Toujou pou zòt qui a été réalisé avec mon collaborateur de longue date Dwayne Beyonder. C’est en fait un projet de remix. Il avait envie de travailler sur des morceaux que j’avais déjà sortis. Et, il a choisi de travailler un morceau qui s’appelle Sé pou zòt qui est sorti sur mon EP Résilience.

Il m’a proposé 2 remixes que j’ai vraiment beaucoup appréciés et j’ai décidé de faire un projet de 4 titres avec les 2 remixes et les 2 instrumentaux. Il était important pour moi de mettre les instrumentaux pour qu’il soit possible d’apprécier les vibrations de Dwayne sans ma voix.

J’ai été très content de pouvoir aller au bout de ce projet. Ça me tenait à cœur. Dwayne est celui qui a réalisé mon tout premier single qui est sorti sur le EP Plis love à la fin des années 2000.  Il m’avait donné un instrumental qui m’a inspiré et a été à la base de ce projet. Je suis vraiment content de créer de nouveau avec lui.

Le projet est sorti il y a maintenant quelques semaines de cela. J’ai de beaux retours. Les accueils sont très chaleureux.

Le projet est disponible sur les plateformes habituelles de streaming et de téléchargement.

Envisages-tu déjà autre chose pour la suite ?

 

En fait, je suis déjà reparti au charbon. Je travaille actuellement sur un autre EP avec un autre collaborateur guadeloupéen. J’en parlerai un peu plus prochainement. On est encore en ce moment en train de peaufiner les choses. Et, je travaille actuellement aussi sur un 2ème album solo que j’espère pouvoir proposer d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine.  

Aurais-tu un mot pour la fin ?

 

Simplement, je m’adresserai aux gens par rapport à la situation dans laquelle on est en leur disant de tenir bon, de prendre soin d’eux au maximum que ce soit physiquement, mentalement, spirituellement, de favoriser ce qui leur semble important et de se tourner vers ceux qu’ils aiment.

Syanséka

Originaire de Guadeloupe, j’aime observer le réel et partager le fruit des lectures qu’il se plaît à m’offrir.

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