Hommage à Colette MAXIMIN
La littérature, une force de cohésion pour l’émancipation et l’élévation des Noirs et des parias de ce monde
Colette Maximin, guadeloupéenne et marie-galantaise de naissance, est décédée le 13 juillet 2025, à l’âge de 66 ans. Elle a exercé en tant que professeure des universités, à l’UA. Dans les milieux de la littérature, sa réputation en tant que grande figure des littératures caribéennes comparées dépasse les frontières des Antilles.
Dès sa publication sur les littératures caribéennes en 1996, elle faisait état du cloisonnement dont cette discipline souffrait dans les universités de la Caraïbes. Les littératures anglophones étaient traitées dans le département des « Commonwealth Studies » au sein des universités anglophones, les littératures insulaires hispanophones de Porto Rico ou de Santo Domingo étaient rangées dans le champ des études latino-américaines au sein des universités hispanophones. Quant aux littératures, haïtienne, martiniquaise et guadeloupéenne, on ne sait pas trop, elles portaient l’étiquette de littératures francophones négro-africaines.
D’emblée, l’objectif de Colette Maximin a été de construire dans sa globalité, le champ littéraire de la Caraïbe, en ayant en tête une vision, celle de l’unité archipélagique. Elle admettait certes que la langue et les statuts politiques étaient des facteurs de cloisonnement, mais elle mettait en avant qu’il y avait des paramètres pertinents qui servaient de ciment aux sociétés caribéennes, à savoir l’histoire et la culture.
Je suis profondément touchée par la disparition de Colette Maximin et je lui rends hommage en évoquant ci-dessous le deuxième de ses essais, celui qui a joué un rôle majeur dans les consciences des critiques littéraires dans les universités de la Caraïbe. Il s’agit de Littératures caribéennes comparées (Editions Jasor Karthala, 1996).
Dans les premières pages de cet essai, Colette Maximin introduit le lecteur à une littérature caribéenne folklorique, dont auteurs et héros sont des paysans pauvres et blancs de Porto Rico, (Èl Jibaro de Manuel Alonso, 1949, 1983, ed. Edil, Rio Piedras, Porto Rico). Le corps social dépeint par Alonso est donc différent des paysans et pauvres des romans antillais. Colette Maximin avance cependant des arguments démontrant que le roman portoricain autant que le roman antillais utilise ces personnages populaires comme moyen ethnographique de revendication de l’identité locale. Carnaval avec les mas, déboulé, rassemblements populaires autour des danses, (garabato pour les uns, gwoka, lagya et danmyé pour les autres) sont présents au rendez-vous littéraire. Les personnages de la fiction sont en tenue vestimentaire d’un pur style créole. Repas, fêtes culinaires, pugilats de mâles pour la même femme, combat de coq, toutes les scènes typiques de la Caraïbe, sont présentes, et ce pour lutter contre l’acculturation. Les ressources de ce type, à caractère ethnographiques au sein d’un roman appartiennent au genre littéraire indigéniste ou costumbriste, autre terme utilisé par Colette Maximin. La discipline littéraire doit à Colette Maximin une fine analyse du genre littéraire costumbriste.
À son avis, une tendance indigéniste similaire se reflète dans le roman, Soufrières, de Daniel Maximin (Seuil, 1987). Pour élaborer sa peinture de la société guadeloupéenne, le romancier fait appel à des éléments du même type, issus de la culture populaire guadeloupéenne, même si les personnages ne sont pas des Blancs pauvres. Selon Colette MAXIMIN, d’autres fictions guadeloupéennes affichent la même palette de ressources indigénistes. Le roman de Simone Schwarz-Bart, Pluie et vents sur Télumée Miracle use de ces thématiques. Toutefois, la romancière parvient à éviter l’écueil de l’exotisme et du folklorisme. Elle ne parle pas de la manière dont ces écueils sont évités. Mais, le lecteur sait combien Schwarz-Bart fait l’éloge de ces gens des hauteurs de Goyave après l’abolition de l’esclavage et qu’elle nomme symboliquement « gens d’en-haut ». qui ont su garder les coutumes africaines et ne sont pas descendu dans la plaine comme les « gens d’en-bas » qui dans leurs valeurs quotidiennes ont été dépossédés de leurs coutumes ancestrales.
Selon la vision que Colette Maximin a des littératures dans les Caraïbes anglophones, cette même quête de préservation d’une identité non aliénée, et cette même aspiration à une identité politique désaliénée sont attestées. Elle identifie les mêmes ressources ethnographiques et la même stratégie littéraire selon laquelle les us et coutumes locales sont exposées, en tant qu’objet d’observation, pour être appréciées. Elle cite Claude McKay dans Banana Bottom (Harper & Row, 1933), Shiva Naipaul dans Fireflies, (Longman, 1970) et Ian Mac Donald dans The humming-bird tree (MacMillan, 2007).
Le roman haïtien est classiquement cité comme fiction indigéniste par excellence. Compère général Soleil de Jacques Stephen Alexis (1955) est traité en tant que tel par Colette Maximin : Le héros de la fiction vole à manger car il est pauvre et a faim. Il est emprisonné, dépérit et meurt dans des conditions extrêmes de misère.
Le « réel merveilleux » est cette autre notion de critique littéraire qui relève de romans dans lesquels la réalité est teintée de merveilleux. Colette Maximin emprunte cette notion à l’intellectuel cubain, Alejo Carpentier (1949), mais aussi à Jacques Stephen Alexis. La démarche de Raphaël Confiant dans le roman, Le Nègre et l’Amiral (Grasset, 1988) répond, selon C. Maximin aux techniques littéraires du réel merveilleux : Le Nègre de la ville conscient de son aliénation va rendre visite aux gens de la campagne pour découvrir comment les choses se passent et considère les us et coutumes de la campagne comme la merveille à suivre, les mœurs de la ville étant aliénées.
Dans littératures caribéennes comparées, mais aussi dans d’autres de ses critiques littéraires, notamment, Noirs, Intouchables, Burakumin, (Harmattan, 2020) et, L’humanité des Noirs (L’Harmattan, 2017) dont les époux, Colette Maximin Trobo et Clément Claude Trobo sont les coauteurs, il y a un thème récurrent, celui selon lequel la littérature est une chance, un outil de libération, d’émancipation et d’élévation pour les Noirs, mais également pour les autres parias dans le monde.
En cela, Colette Maximin Trobo est l’une des grandes figures qui a œuvré pour la reconnaissance de l’unité des littératures caribéennes. Elle a contribué à en faire une force de cohésion.
Eïa pour Colette Maximin !
Juliette FACTHUM SAINTON